venise Airbnb

Pourquoi voyage-t-on encore avec Airbnb ?

Le #debatdumardi est relancé ! Cette fois-ci, c’est Lucie qui prend la parole et vous demande, droit dans les yeux, pourquoi continuer à voyager avec Airbnb ?

Le #debatdumardi : les dérives d’Airbnb

Comme je suis heureuse de relancer le #debatdumardi ! C’est une rubrique que j’aime toujours autant mais la prise de risque qui y est associée demande de l’énergie.
Vous savez comment sont les gens sur les réseaux sociaux, une étincelle et hop, c’est le blog qui prend feu 😉
C’est pourquoi je ne suis pas aussi régulière dans ces débats que je le souhaiterais et puis parfois, souvent même, je suis tellement énervée de tout que j’ai du mal à choisir les débats à lancer. Il est difficile de prioriser ses combats, ils sont nombreux à mener.

Cette fois-ci, je vous avoue, je me suis laissée portée. Par Lucie, du blog Occhio di Lucie, un blog que j’adore. Forcément.
#passionitalie #forever

Si vous visitez régulièrement le blog, peut-être connaissez-vous déjà Lucie.
Je l'avais interviewé il y a quelques mois : la vie d'une française à Venise.

Je crois que j’ai énervé Lucie cet été. Par le billet sponsorisé que j’ai rédigé pour Luckey, la conciergerie d’Airbnb.
Soyons claire, c’est un billet pour lequel j’ai été rémunérée. Je l’ai accepté car je suis moi-même utilisatrice d’Airbnb, que dans ma famille, certains ont recours à leur service pour mettre leur bien en location et que je pense que si j’étais propriétaire, je me rapprocherai d’eux également. Je choisis toujours mes billets sponsorisés en tenant compte de votre intérêt et il semble que je ne me sois pas trompée cette fois-ci encore, j’ai reçu pas mal de messages notamment sur FB, sur l’intérêt de cette conciergerie.

Seulement voilà, Airbnb, c’est pas super responsable comme boite. Souvent décriée dans les villes ultra-touristiques.
Cet article ne pouvait que toucher Lucie. La belle vit à Venise. Et subit de plein fouet les conséquences de ces locations saisonnières, qui n’en sont plus réellement dans les villes attractives.

Très mal placée pour parler du sujet et ne souhaitant pas m’aventurer sur un terrain je ne connais finalement pas, donner la parole à Lucie m’a semblé tout à fait légitime.
Vous allez voir que Lucie est comme moi, elle n’a pas la langue dans sa poche !

[bctt tweet= »Avec franchise et sincérité, Lucie nous éclaire sur ce qu’elle vit au quotidien à Venise mais aussi nous incite à penser autrement nos voyages.  » via= »no »]

PS: je suis intervenue parfois pour compléter la discussion, mes propos sont en bleu dans le texte.

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J’aime beaucoup l’ouverture d’Olivia aux divers débats qui agitent le monde du tourisme, toujours plus concerné par des questions éthiques. Je lui ai proposer de participer en m’attaquant à un acteur colossal du monde du tourisme : Airbnb.

Depuis trois ans, j’habite à Venise. Vivre dans une ville visitée par 30 millions de touristes par an donne à réfléchir. Il suffit de passer par le pont du Rialto de bon matin, de prendre un verre face au défilé des bateaux de croisière le weekend, ou, tout simplement, de se mettre à la recherche d’un appartement.

Sur ce dernier point, l’expérience est cruelle. Même avec un budget confortable, je ne trouve rien d’autre que des trous à rats humides au rez-de-chaussée, parfois sans fenêtres. Pourquoi ? C’est simple : tous les beaux apparts ou presque sont sur le marché touristique, et les locataires fixes se partagent les miettes.

Si je suis toujours en coloc à presque trente ans, c’est un peu de leur faute.

À qui ? Airbnb.

Airbnb, une sharing economy pour un monde meilleur ?

Quand Airbnb est arrivé en Europe, au début des années 2010, j’étais une jeune étudiante sans le sou. Ne pouvant pas me permettre de me payer l’hôtel, j’étais habituée aux séjours chez les amis et au couchsurfing, et ça m’allait très bien. Mais l’idée de gagner un peu en confort en séjournant chez l’habitant pour un prix moindre, forcément, j’ai trouvé ça super.

La sharing economy, en français économie collaborative, m’apparaissait comme un moyen formidable de permettre à tous de gagner un peu d’argent tout en rencontrant des voyageurs. J’ai ainsi commencé, en 2015, à voyager en Espagne où j’habitais alors, dormant dans diverses chambrettes chez l’habitant. Certaines ressemblaient à un internat, d’autres à de douillettes chambres d’hôtel. Certains hôtes étaient sympathiques et ouverts, d’autres pressés et peu communicatifs.

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Airbnb m’apparaissait comme l’acteur sympathique du marché permettant de faciliter les échanges entre habitants et voyageurs. Une véritable économie participative et vertueuse.

Puis j’ai déménagé à Venise. Et là, j’ai changé d’avis.

La naissance des checkinistes

Arrivée à Venise, à ma nouvelle coloc, je demande :

– « Tu fais quoi dans la vie ?
– Checkiniste !
– Pardon ? C’est quoi ça ? »

Tout simplement, une personne qui prend en charge les touristes, les accueille dans leur logement (qu’ils occupent entièrement et non en partage avec l’habitant) et leur donne les consignes de base accompagnées d’éventuels conseils de restaus. Une authentique rencontre réalisée à la chaîne par un.e travailleur.euse précaire qui sillonne la ville faisant un à cinq check-in par jour, répétant les mêmes « bonnes adresses » à qui veut l’entendre. Un boulot souvent exercé par les catégories de la population les plus faibles, payé au black.

J'ai moi-même loué un Airbnb lorsque nous sommes allés à Venise en famille. 
Un bel et grand appartement, qui nous a couté bien moins cher qu'un hôtel. 
L'appartement était disponible à l'année. Nous avons été accueillis par la propriétaire. 
Mon article ICI : Venise pratique

Que reste-t-il alors de la fameuse « sharing economy » ?

Quand le data-activism lève le voile sur mes illusions

Un jour glacial de janvier, je me retrouve dans une petite salle d’une ancienne ludothèque occupée par des habitants de Venise, opposés à sa transformation en restaurant. Debout face à l’audience, le data activiste Murray Cox. Il nous raconte la transformation de son quartier à New-York, qu’il a vu devenir progressivement un dortoir touristique, provoquant mutation du tissu social et gentrification.

Il se demande alors quel lien ces transformations entretiennent avec Airbnb. Il récupère les données (data) de la plate forme de location et les transcris sur un site: Inside Airbnb.

Grâce à son travail, on peut savoir :

* Le nombre total d’annonces sur le site
* Combien d’annonces chaque propriétaire possède
* Le pourcentage de logements loués complets et non-partagés
* Le nombre de nuits par mois louées sur Airbnb
* Le revenu estimé des propriétaires par appartement.

Dans toutes les villes où la pression touristique est forte, le constat est le même : Airbnb n’est plus une sharing economy. Pourtant, l’entreprise continue d’appuyer sa communication dessus, et conserve de ce fait une image positive.

Inside Airbnb à Venise

Si on regarde les chiffres à Venise, ils sont parlants :

* Plus de 6.800 logements sur la plate-forme
* 68,4% des propriétaire ont plusieurs biens à louer sur le site (parfois 2 chambres dans un même appartement)
* 81,6% des logements de la plate-forme sont loués entiers

En moyenne, les logements sont loués 110 nuits par an.
Le revenu mensuel moyen dégagé par annonce est de 1140€/mois

Conclusion, le marché Airbnb est entre les mains de propriétaires multiples, qui choisissent de soustraire leur bien au marché traditionnel (location résidentielle).

Que reste-il de l’idée de partage quand ils ne sont que quelques-uns à se partager le gâteau ?

→ En France, les données sont disponibles pour Lyon, Bordeaux et Paris.

Qui est le méchant de l’histoire ?

Maintenant que je vous ai raconté tout ça, vous vous sentez peut être un peu coupables. Airbnb est utilisé par une grande partie d’entre nous, moi comprise. Alors je me dis qu’avant d’aller me flageller avec un manuel de tourisme durable, mieux vaut se poser la bonne question. Qui est le méchant de l’histoire ?

Le vilain touriste ? Le propriétaire cupide ? Ou la multinationale à qui on a servi le marché comme sur un plateau ?

Si je dois pointer du doigt quelqu’un, je penche vers les politiques qui ont la mission de protéger nos droits et nos villes. Certains se sont d’ailleurs réveillés, comme à Barcelone qui a imposé une taxe de séjour et interdit la location de logements entiers (il en reste cependant 48,7% selon Inside Airbnb). Ou Paris, qui a limité la location à 120 jours par an.

A Venise, les appartements loués sur Airbnb subissent ma taxe de séjour, mais à ce jour, il n’existe pas de limitation du nombre de nuitée.

Existe-t-il un Airbnb vertueux ?

Donner mon argent à Airbnb m’ennuie profondément. Je n’ai pas envie de participer à un phénomène qui transforme les centres ville en dortoirs touristique sillonné de checkinistes, sur fond de bruit de valises à roulettes.

Comment faire quand on voyage avec un budget limité ?

Pour moi, une chose est sûre : hors de question de louer un appartement entier sur Airbnb.
Depuis que j’ai pris conscience de ce problème, quand je cherche un logement sur internet, je procède ainsi :

* Je vais sur un comparateur (type Booking)
* Je repère un logement qui m’intéresse
* Puis je vais sur le site de l’établissement ou je téléphone directement pour réserver avec le prestataire.

Souvent, la chambre d'hôtel revient moins chère en passant en direct par l'hôtel qu'en passant par Booking. 
Méthode testée et approuvée notamment pour un séjour à Turin en plein mois d'août !

Car fuir Airbnb pour aller sur Booking, c’est un peu la peste et le choléra : entre 2013 et 2019, Booking aurait battu des records d’évasion fiscale en Italie, avec 350 millions d’euro, estime le journal Il Sole 24 ore. Par ailleurs, Booking est accusé régulièrement d’étrangler les hôteliers en les forçant à pratiquer des tarifs concurrentiels et de pratiquer des marges pas tellement éthiques.

Pour l’instant, je n’ai pas mieux à proposer.
Mais peut-être serons-nous sauvés bientôt … un nouvel acteur arrive sur le marché pour retourner vers un tourisme vertueux.

Fairbnb : quand le tourisme de masse finance les projets locaux

Né en réaction aux problèmes soulevés par le tourisme de masse dans des villes comme Barcelone, Venise ou Amsterdam, Fairbnb propose de réinjecter dans des projets locaux une partie des revenus générés par la plate-forme.
Contactés par email, les créateurs de la plate-forme m’expliquent que l’argent des voyageurs est ainsi réparti :

  • rémunération des propriétaires (85%)
  • financement de la plate-forme (7,5%)
  • financement de projets locaux (7,5%)

Si je prends le prix moyen d’une nuit à Venise selon InsideAirbnb, on obtient le calcul suivant :

→ sur 150€ :
127,5 € arrivent au propriétaire (qui doit les déclarer et payer des charges, bien sûr)
22,5 € de commission sont répartis entre la plate-forme (11,25 €) et des projets locaux (11,25€)

Si la plate-forme se développe correctement, le potentiel est énorme : 11,25€ par nuit dans une ville comme Venise ou le nombre de nuits vendues à l’année est pharaonique, ça représente un véritable budget et une aubaine pour les projets locaux. Le voyageur a ensuite la possibilité de choisir le projet auquel il souhaite donner : à Venise, on trouve une association qui efface les graffs et entretient des bâtiments historiques, ou le projet de relancer un chantier naval traditionnel au cœur de la ville.

Le service de réservation est disponible depuis fin-septembre pour les villes de Venise, Bologne, Barcelone, Valence et Amsterdam. Maintenant, il appartient aux voyageurs et aux propriétaires de logements de s’emparer de cette opportunité de construire un tourisme vertueux.

Et si on changeait notre façon de voyager ?

Je ne crois pas avoir apporté beaucoup d’éléments nouveaux au débat. La presse se fait souvent l’écho de l’impact négatif d’Airbnb sur les villes touristiques et les grandes villes. On le sait maintenant, nous en sommes informés.

Pourtant, contrairement à la consommation d’avion, le problème Airbnb ne semble pas toucher réellement les voyageurs et au contraire, l’entreprise continue à jouir d’une image globalement positive.

C’est ce qui m’incite à écrire cet article pour inviter à réfléchir sur le décalage entre la réalité des effets et le discours marketing opéré. Pour que cette réflexion ne s’arrête pas là et voie également émerger des alternatives, comme Fairbnb ou un retour à l’hôtellerie traditionnelle.

Connaissez-vous Solikend ? Il s'agit d'une plateforme qui reverse 100% des nuits d'hôtels réservées à des associations.
Dans ce concept, les hôteliers offrent des nuits d'hôtels, vous en profitez 
tout comme les associations dont vous partagez les valeurs.
Solikend existe aujourd'hui un peu partout en France. Espérons qu'il fasse des petits !
[bctt tweet= »Parce qu’assister impuissants à la transformation des centre-villes en lieux de consommation touristique, avec les habitants chassés vers les périphéries, ne devrait pas être une fatalité. » username= »EncreVirtuelle »]

Qu’en pensez-vous ?
Utilisez-vous Airbnb et avez-vous déjà réfléchi aux conséquences des locations saisonnières sur les villes touristiques ?

Le #debatdumardi est ouvert !

 

pourquoi voyage-t-on encore avec Airbnb ?

Retrouvez Lucie sur son blog Occhio di Lucie 

Pour aller plus loin dans la réflexion, voici quelques articles très récents :
* Paris évoque l'idée d'interdire Airbnb dans certains arrondissements
* Les communes souhaitent obtenir la liste des logements loués par Airbnb
* Madrid adopte un plan anti-Airbnb
* Fairbnb, l'alternative éthique et équitable d'Airbnb

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